Edwin A. Abbott

 

Ce pasteur anglais, en marge de ses recherches théologiques, a écrit à la fin du XIXe siècle une sorte de jeu d'esprit mathématique qui a été de nouveau exhumé à la suite des théories de la relativité en tant que précurseur de la pensée à quatre dimensions.

Titre

Date

Intérêt

Divertissement

Flatland

1884

16/20

16/20

Roman paru chez 10/18 et chez Présence du Futur (n°110), traduit par Elizabeth Gille.

Carré, habitant de Flatland, le pays à deux dimensions, nous conte comment il a été convié à découvrir les mystères de la troisième dimension, et nous invite à comprendre la situation et le mode de vie de son peuple.

Le débat s'engage souvent au sujet de cet ouvrage pour savoir s'il reflète les préjugés d'Abbott (en matière de sexisme et d'une certaine idée de la hiérarchie sociale, attendue pour un prêtre de cette époque), ou si ce dernier ne fait que décrire ceux de son personnage. Il est clair que ce sont les idées d'Abbott qui transparaissent par moments (sur l'éducation des sourds-muets), mais, quelle que soit la vérité, ce roman est intéressant en ce sens qu'il est forcément imprégné des théories en vigueur à son époque. On y retrouve ainsi sous des formes détournées le débat sur l'inné et l'acquis et sur le libre-arbitre moral (avec des théories aujourd'hui scientifiquement absurdes, mais complètement de son temps). Même si Flatland n'est pas une simple transposition de la bonne société anglaise, certaines de ses caractéristiques sont présentes : son eugénisme latent, sa peur des masses, les mœurs dissolues des membres de la haute société, la volonté effrénée d'ascension sociale qui en vient à des extrémités meurtrières (et pas seulement au figuré) pour les enfants contraints de suivre la bonne voie tracée par leurs parents, le système parfaitement régenté de classes sociales censé refléter une loi naturelle. Il est d'ailleurs à mon sens dommage que la description de Flatland s'achève alors qu'elle devient savoureuse en décrivant l'hypocrisie de ce système et ses contradictions, laissant entr'apercevoir des failles qui ne sont pas explorées plus avant, et versant légèrement dans le cynisme : << Avec les femmes, nous parlons d'"amour", de "devoir", de "bien", de "mal", de "clémence", d'"espoir" ou d'autres concepts irrationnels et émotionnels, qui sont totalement dépourvus d'existence et n'ont été inventés que pour contenir l'exubérance féminine ; mais entre nous, et dans nos livres, nous employons un vocabulaire, disons même un idiome entièrement différent. "Amour" devient "prévision de bénéfices" ; devoir, "nécessité" ou "convenance" >>.

L'intérêt historique de ce roman comme reflet de son époque me semble donc plus important que son intérêt mathématique et scientifique. Ce que l'on doit réellement à Abbott est l'idée de base d'existence à diverses dimensions et l'ébauche furtive d'un lien entre les dimensions spatiale et temporelle, mais dans l'ensemble ses descriptions sont physiquement irréalistes et il s'en sort souvent par la fuite. Il vaut mieux considérer ce livre comme un hymne à l'ouverture d'esprit, riche en imagination, qui trouve son point d'orgue dans la description de Pointland, le pays-être à zéro dimension : << Il est lui-même son propre Monde, son propre Univers ; il est incapable d'imaginer autre chose que lui-même ; [...] il n'a pas la moindre idée de la Pluralité ; car il est pour lui-même l'Unique et le Tout, bien qu'il ne soit rien en réalité. Observez cependant combien il est content de lui ; cela doit vous apprendre que la satisfaction de soi-même trahit un être vil et ignorant >>. La morale de l'ouvrage est ainsi que l'on est toujours prompt à mépriser l'ignorance des autres, mais que l'on trouve toujours plus ouvert d'esprit que soi.

 

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