Chroniques des années noires

(titre original : the Years of Rice and Salt)

 

Roman de Kim Stanley Robinson, traduit par David Camus et Dominique Haas, paru chez Presses de la Cité.

La Peste Noire a détruit les civilisations européennes au quatorzième siècle et permis à d'autres de prospérer : ce thème d'uchronie n'est pas nouveau, Silverberg avait utilisé le même dans La Porte des Mondes et dans des nouvelles. Robinson va plus loin puisqu'il anéantit carrément les peuples européens et ne risque donc d'adopter leur point de vue à aucun moment.

Le traitement du thème diffère notablement : là où son aîné décrivait avec naïveté des civilisations gentillettes débarrassées de la colonisation et non étouffées, KSR porte un regard lucide sur le développement d'un monde privé de l'Occident, d'habitude si prépondérant conceptuellement dans la science-fiction. Il n'y a ni gentils ni méchants, simplement des oppresseurs et des opprimés qui peuvent varier au gré des siècles, et un équilibre à trouver pour l'humanité. Malgré son intérêt pour le soufisme et le bouddhisme que ceux qui ont lu la trilogie martienne lui connaissent déjà, Robinson se montre assez équitable en assénant son lot de critiques aux deux grands pôles qui s'opposent, la Chine et l'Islam, observés à tour de rôle sous l'œil de leurs adversaires.

Les principes bouddhistes fournissent cependant au roman son fil conducteur : la réincarnation. Elle permet de suivre trois caractères au fil de leurs incarnations successives dans différents personnages et différentes époques. Cette logique nous est peu familière, mais correspond bien à la description de sociétés où les philosophies dominantes ne puisent pas dans la même source judéo-chrétienne, ce qui change la vision du monde, la perception du progrès, etc.

Subtilité, érudition, précision : les qualités connues de Kim Stanley Robinson s'appliquent donc aussi à l'uchronie. On regrettera simplement cette traduction de titre plate et totalement idiote infligée par l'éditeur français...

 

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