Octavia E. Butler (1947-2006)

 

Le père d'Octavia Estelle Butler, un cireur de chaussures, décède alors qu'elle est encore bébé. Son enfance est dominée par la figure de sa grand-mère, épouse d'un pasteur baptiste qui fait figure de référence morale de son quartier de Pasadena, dans l'agglomération de Los Angeles. À douze ans, la vision d'un film de série Z la convainc qu'elle n'aurait aucune peine à écrire de la science-fiction mieux que ça. Elle "fait ses classes" dans des ateliers dirigés par Harlan Ellison, qui lui a donné la première impulsion de sa carrière.

Écrivain assez primée, surtout en comparaison avec une œuvre peu abondante (elle avoue écrire lentement), cette féministe noire est aussi connue comme un exemple de réussite en science-fiction de minorités qui en étaient exclues dans les générations antérieures. Son principal succès en librairie, Kindred, relatant le voyage dans le temps d'une femme à la recherche de ses ancêtres esclaves, est généralement classé non pas en SF mais en "littérature afro-américaine".

Trace marquante, elle est le seul écrivain de science-fiction à avoir reçu le "genius grant" de la fondation MacArthur, ce prix richement doté décerné chaque année par un jury secret à quelques dizaines de résidents américains dotés d'un potentiel créatif exceptionnel.

Octavia Butler a finalement suivi la même trajectoire que son héroïne des paraboles Olamina et a déménagé vers le nord, à Seattle, en 1999. Ce "grand voyage" devait lui servir d'inspiration pour écrire le troisième volet de cette trilogie, celui du voyage vers Alpha du Centaure. Elle n'en a pas eu l'occasion... Elle a buté sur ce roman, est passée à autre chose, et est finalement décédée le 24 février 2006.

Date

Intérêt

Divertissement

La parabole du semeur (Parable of the sewer)

1993

13/20

13/20

La parabole des talents (Parable of the talents)

1998

12/20

11/20

Romans parus aux Éditions au Diable Vauvert et chez J'ai Lu, traduits par Philippe Rouard pour le premier et Iawa Tate pour le second. Le parabole des talents a obtenu en 1999 le prix Nebula, pour lequel son prédécesseur La parabole du semeur n'a été "que" nominée.

2024. La paupérisation a atteint un tel stade que l'on ne peut plus marcher seul dans une rue de Californie sans être agressé. Dans une société où la peur de l'autre est devenue la règle, l'empathie est une maladie dangereuse que l'on cache.

Les sans-abri deviennent si nombreux et si désespérés qu'il faut s'emmurer pour se défendre et faire subsister tant bien que mal sa petite communauté. Las. Le réchauffement climatique et la folie pyromane qui s'empare des drogués poussent les gens sur les routes, vers le nord, à la recherche d'un asile. Pour Lauren Olamina, fille d'un pasteur baptiste, l'avenir se nomme Semence de la Terre, la religion qu'elle a inventée et qui proclame que "Dieu est changement".

Ce récit se distingue du genre classique post-apocalyptique (avec lequel il partage son cortège de violences, de lutte pour la survie et de tyranneaux) par son caractère progressif. Point de catastrophe brutale, mais une description plus réaliste d'une lente décrépitude qui touche peu à peu des couches sociales qui peuvent se croire protégées. L'illusion de la sécurité et la nécessité de l'adaptation sont des thèmes forts de l'œuvre.

Butler s'intéresse surtout à la déchéance des personnages et à leurs destins individuels, pas tellement aux mécanismes de la décadence de la société, dont la description n'est pas toujours convaincante. En effet on ne saisit pas très bien comment les services de l'État fédéral peuvent encore exister : l'organisation régulière d'élections n'est jamais remise en cause, alors que tout le reste est à l'état de ruine et d'anarchie, sans que ça n'ait l'air de choquer personne.

La lecture de ce roman offre une réponse à l'anonymat relatif d'Octavia Butler pour le public français : le point de vue en est très américain. Je ne parle pas là du manque d'horizon qui est assez commun : certes on ne sait rien de la situation économique ou politique internationale, mais à vrai dire on n'en sait guère plus sur les États-Unis, et le problème de l'accès à l'information est d'ailleurs justifié dans le texte.

C'est plutôt l'imprégnation du récit par la religion qui peut faire l'objet d'une fracture de sensibilité indépassable. L'auteur tout comme l'héroïne ont été élevées dans les sermons et dans la lecture de la Bible. Elles considèrent naturellement la religion comme un vecteur naturel pour mettre en forme des idées ou une vision du monde, et elles en habillent donc leur philosophie. Une personne partageant un background culturel semblable et l'habitude des prêcheurs pourra sans doute faire sienne ces versets qui la toucheront au cœur et la feront réagir par rapport à son vécu personnel. Quelqu'un qui serait tout simplement imperméable à tous les prêchi-prêcha (un cas "réfractaire" - et non pas adversaire - qui n'existe même pas parmi tous les personnages "à convertir" du roman !) restera par contre totalement indifférent à ces vers creux qui prennent de grands airs de vérité pour ne pas dire grand-chose. Or, s'ils ne sont pas absolument nécessaires à la lecture, le désintérêt qu'ils inspirent crée forcément une distance.

C'est une perturbation mineure tant que le récit reste actif et intéressant par lui-même au premier tome. Par contre, La parabole des talents s'attarde sur du déjà-vu et commence à reproduire les mêmes canevas. Son sujet central, la relation mère-fille, la sauve, mais elle aurait mérité plus de concision.

 

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