Trilogie des guerriers du silence, de Pierre Bordage
I - Les guerriers du silence
Roman paru chez J'ai Lu (n°4754). Grand Prix de l'Imaginaire et Prix Julia Verlanger 1994.
La Confédération de Naflin, qui regroupe la plupart des mondes recensés où elle parvient à maintenir la paix, repose sur un fragile équilibre. Mais certains membres de la famille régnante de la planète Syracusa fomentent un complot pour bâtir un nouvel empire avec l'aide de l'église du Kreuz ainsi que des Scaythes d'Hyponéros, capables de lire dans les pensées. À force de devenir de plus en plus dépendants de ces derniers, les dirigeants impériaux ne sont-ils pas en train d'hypothéquer leur avenir ? D'autant que personne ne semble en mesure de contester le nouveau triumvirat de fait, si ce n'est un médiocre employé d'une agence de voyages dont le destin bascule au gré d'une rencontre fortuite.
Pour son premier roman, Bordage a l'audace d'entreprendre d'emblée un ambitieux space opera, sous la forme d'une trilogie qui plus est. Le culot paie puisque le résultat est fidèle aux attentes et réunit les ingrédients les plus fréquents du genre : luttes de pouvoir planétaires, modeste héros destiné à devenir le dernier espoir de l'humanité, légèretés scientifiques (inventons allègrement un nouveau métal, l'optalium, qu'importe s'il n'y a plus de place où le caser dans la classification périodique !), histoire d'amour prévisible bien que (ou plutôt parce que...) tellement improbable au début, et bien sûr taille volumineuse de l'ensemble. Ce classicisme n'empêche pourtant pas Bordage d'en faire une œuvre vivante.
II - Terra Mater
Roman paru chez J'ai Lu (n°4963).
Les Scaythes, qui ont su se rendre indispensables aux institutions impériales et religieuses, ne se contentent plus de la télépathie, ils sont désormais effaceurs et peuvent manipuler l'esprit humain. Le Plan dont ils sont l'instrument vise par leur intermédiaire à supprimer l'humanité en commençant par sa mémoire. L'ultime espoir réside dans ceux qui ont redécouvert les forces originelles de l'humanité, les guerriers du silence, parmi lesquels un jeune enfant de huit ans.
Pierre Bordage avoue lui-même détester la science, cela se ressent, et de l'univers de la science-fiction, il a surtout retenu la prétention d'expliquer la nature humaine, d'essence mythologique. Il commence donc à mettre en place ses petits principes mystiques, ses prophètes, de manière un peu fastidieuse, bien qu'encore relativement légère. C'est avant tout un roman d'aventures dans un décor SF, et cela pourrait même n'être que ça. Mais ce qui sauve Bordage, ce qui le sépare de la littérature de gare, c'est que, au milieu des emprunts aux œuvres les plus connues, il y a toujours un monde ou une situation à l'exotisme réel et non pas feint, dont la description plus originale est servie par un style consistant et personnel.
III - La citadelle Hyponéros
Roman paru chez J'ai Lu (n°5088). Prix Cosmos 2000.
L'univers va-t-il s'éteindre ? Évidemment non, c'est couru d'avance, nos héros vont le sauver, mais on a le droit de poser des questions rhétoriques, non ? Nous voici dans le dernier volet de la trilogie, et Bordage continue à nous asséner des scènes où le héros est sauvé in extremis à une seconde et demie de sa perte, mais on commence à s'en lasser, d'autant qu'il n'y a pas de pause publicitaire au milieu. C'est étonnant de la part de quelqu'un qui dénonce avec autant de virulence le hasard et explique que la vie est déterminée par la volonté, mais il est sûr qu'il est plus facile de prétendre être le maître de son destin quand on a les coïncidences pour soi...
Il y a donc danger que le lecteur se lasse, surtout que les longueurs déjà vues dans Terra Mater, à la faveur de scènes inutiles, commencent à devenir pesantes. Heureusement, on se réveille pour les trois cents dernières pages, où enfin l'empire se disloque, et où l'on est aussi libéré que ses habitants de voir les choses enfin bouger. La dimension épique un peu perdue en route retrouve un second souffle, et on termine la lecture avec plaisir. Il n'y a pas de grand dénouement à proprement parler, car Bordage a l'air de considérer lui aussi la question posée plus haut comme rhétorique, et il a la gentillesse de ne pas délayer plus que nécessaire l'ultime combat entre la volonté de vivre et la non-existence, ce qui n'est pas plus mal, parce que les matchs truqués dont on connaît le vainqueur à l'avance...