Interview de Robert Sheckley

 

Interview réalisée par Internet par le magazine italien Delos. Retrouvez l'interview originale sur :

http://www.delos.fantascienza.com/delos15/sheckley.html

 

Questions de Luigi Pachì :

Q : Robert, tu es très célèbre pour ta longue implication au sein d'une des meilleures revues de science-fiction de tous les temps : Galaxy. Qu'est-ce que tu te rappelles de plus en regard de ta vie et de la manière dont tu écrivais de la science-fiction par rapport à la science-fiction d'aujourd'hui ?

Robert Sheckley : La vie semblait beaucoup plus simple à cette époque. H. L. Gold me demandait un nombre toujours croissant d'histoires à produire. La science-fiction, en ce temps-là, semblait appartenir à un club. Aujourd'hui, la science-fiction s'est gonflée de productions extrêmement coûteuses où les personnes du cinéma définissent le genre et le reste d'entre nous cherche à se battre pour les quelques dollars restants. C'était vraiment mieux dans le bon vieux temps. Mais, naturellement, tout était meilleur dans le bon vieux temps. Excepté les femmes. Elles sont mieux maintenant... à part une.

Q : Pourquoi as-tu choisi d'écrire des romans de science-fiction paradoxaux et humoristiques ? Était-ce principalement parce que tu t'étais rendu compte d'un manque d'histoires de SF fondées sur cette thématique particulière, ou y avait-il d'autres raisons ?

Sheckley : En aucune façon, je ne m'étais mis à considérer des manques particuliers dans le champ de SF. C'était une idée trop lointaine pour moi. Je me suis mis à écrire ce qui me venait : l'humour, le paradoxe et la satire, les trois cavaliers de mon apocalypse personnelle.

Q : Et maintenant une question que j'ai déjà posée à Douglas. Quelle est, selon toi, la différence principale entre tes romans paradoxaux et la production de Douglas Adams ?

Sheckley : Doug Adams réussit à tirer plus d'argent de ses livres que moi des miens. C'est la différence principale. Il est aussi plus gros que moi... Cela peut compter comme différence.

Q : Après de nombreuses histoires publiées dans les années 50, tu as commencé à voyager de par le monde, en écrivant de moins en moins. La dimension des miracles, par exemple, est apparu sept bonnes années après ton livre précédent. Ce roman est encore un de mes préférés et je me demande si tout ce temps t'a servi dans le sens où la science-fiction du genre que tu préfères n'est en rien simpliste, ou si, au contraire, tu t'es tout à coup rendu compte que voyager autour du monde est plus excitant qu'écrire des romans.

Sheckley : J'ai découvert que voyager autour du monde était une grande alternative à l'écriture. Et, quand tu as un certain âge, les auberges de basse catégorie dans des endroits exotiques ont un certain charme. C'est ainsi que s'est déroulé le reste de ma vie, en refusant de retourner sagement m'asseoir pour continuer à écrire des livres.

Q : Le chroniqueur Brian Aldiss a comparé ton travail à ceux de Lewis Carroll, Voltaire et Swift, tandis que Sam Lundwall trouve tes univers bizarres semblables à ceux de Franz Kafka et Boris Vian. Comment te sens-tu vraiment, face à ces commentaires ?

Sheckley : Cela me plaît et j'ai tendance à croire tout chroniqueur qui me compare à n'importe quel personnage célèbre qui ne soit plus en vie.

Q : Crois-tu qu'un film comme La folle histoire de l'espace de Mel Brooks aide la masse à se rapprocher de la SF ?

Sheckley : Pas vu. La rapprocher du genre science-fiction est de toute façon une idée au-delà de mes capacités. Je préfère ne pas être impliqué.

Q : Réussis-tu à trouver une ou plusieurs raisons qui t'ont poussé à écrire de la science-fiction au lieu d'autres genres ?

Sheckley : Comme dit Cab Colloway : "Cela n'est rien si ça n'a pas de swing" (It Don't Mean a Thing if It Ain't Got That Swing, chanson composée par Duke Ellington). La science-fiction avait quelque chose en plus, un "swing" particulier, et je l'ai capté en vol à merveille.

Q : La clef laxienne, Milk Rum et Ghost V sont, de mon point de vue, trois de tes meilleurs textes. N'as tu jamais pensé à écrire de nouvelles histoires relatives à l'agence AAA ?

Sheckley : Si, j'y ai pensé de temps en temps, mais je me suis désisté par la faute de la triste condition du marché de la nouvelle, ainsi que parce que j'ai le sentiment qu'il vaut mieux laisser se reposer le chien qui dort.

Q : Ton roman Échange standard est dédié à Paul Kwitney. Peux-tu me dire quelque chose de plus sur lui ?

Sheckley : Paul Kwitney était mon beau-frère il y a de nombreuses femmes de ça... Je voudrais demander à quiconque possède ce livre avec cette dédicace particulière de la déchirer. Nous ne sommes plus amis depuis longtemps. Si jamais nous l'avons été.

Q : Tu es également populaire parmi les lecteurs de Playboy (Note pour nos lecteurs : n'allez pas recontrôler les pages centrales de vos 1000 numéros, il ne s'y trouve pas de photos de Robert Sheckley nu). Pourquoi as-tu décidé d'apparaître dans Playboy ? Ils payaient bien ? Ils payaient en nature ? C'était pour avoir une excuse pour regarder dans la revue sans être réprimandé ? Pour changer de public ?

Sheckley : Playboy payait environ dix fois plus que les meilleurs des marchés de science-fiction. Ai-je besoin d'ajouter autre chose ?

Q : Quel est le personnage que tu as créé que tu préfères ?

Sheckley : Je suppose que c'est Marvin Flynn. C'est le seul dont je me rappelle le nom en ce moment.

Q : Peux-tu me dire quels sont tes auteurs préférés (s'il te plaît, essaie de ne pas te citer toi-même ni tous tes pseudonymes utilisés dans les années 50) ?

Sheckley : Beaucoup de mes auteurs préférés sont morts : me viennent à l'esprit Italo Calvino, Henry Kuttner, John Collier, Ted Sturgeon, Edgar Rice Burroughs... Mes autres auteurs préférés n'ont pas encore commencé à publier.

Q : Quels sont tes principaux projets pour le futur ? Pouvons-nous attendre d'autres romans divertissants ? J'espère vraiment que oui.

Sheckley : Le premier projet principal pour le futur, comme cela a été le cas dans le passé, est de me tirer d'affaire. Je dois finir sous peu deux nouveaux romans de science-fiction. Ne me demandez cependant pas ce que j'en pense. Je ne le sais jamais jusqu'à ce que quelque figure paternelle me le dise.

Questions de Roberto Quaglia :

Q : Quelles sont les meilleures questions que tu te rappelles avoir entendu dans ta vie, en supposant qu'il y en ait eu de bonnes ?

Sheckley : J'aime la question qui dit : "Qu'est-ce qui te passes par la tête en ce moment ?" C'est une question à laquelle on ne m'a jamais fait répondre.

Q : Quels sont les meilleures questions qu'il t'es arrivé de poser à l'univers, ou à quelqu'un d'autre, en supposant qu'il y ait quelqu'un d'autre, en supposant qu'il y ait un univers ? Et quelle est ton ultime question, que tu as envie de poser maintenant ?

Sheckley : La meilleure question était : "Pourquoi y a-t-il du pourpre ?". Une autre bonne est : "Pourquoi éprouves-tu ce besoin compulsif de poser des questions ?".

Q : Que remarques-tu de particulier dans l'existence ?

Sheckley : L'existence ? Bon sang, je n'ai jamais remarqué l'existence. C'est quelque chose comme de la gelée rose ? Ou c'est quelque chose qu'a inventé Jean-Paul Sartre entre deux cafés aux Deux Magots ?

Q : Qui convient de ce que quelque chose semble se produire ?

Sheckley : Nous tous, mon fils. S'il ne se passait rien, Dieu se sentirait bien seul là-haut avec toutes ses Conjectures.

Q : Parle de ton feeling avec la musique. Mais qu'est ce que la musique ? Ou plutôt, si c'est trop difficile, qu'est-ce que ce n'est pas ?

Sheckley : Ma théorie sur la musique est que Debussy aurait dû vivre jusqu'à 112 ans et écrire au moins dix fois plus que ce qu'il a fait.

Q : Quelle définition de la réalité préfères-tu, ou plutôt, laquelle désapprouves-tu le moins ?

Sheckley : La réalité est ce qui à la fin sort de mon ordinateur.

Q : Bien, venons-en maintenant à une question classique : comment définirais-tu le mieux la science-fiction ?

Sheckley : La science-fiction est ce qui à la fin sort de mon ordinateur.

Q : Pourquoi y a-t-il des lieux différents, s'il n'y a pas de distances ? C'est toi qui a posé cette question dans ta nouvelle A question idiote.

Sheckley : Je suis content que tu me le demandes. Pendant ce temps je vais ruminer la question, je vous demande de m'excuser.

Q : Comment se fait-il que chaque réponse soit contenue dans les termes d'un problème plus vaste ?

Sheckley : Parce que le premier jour, Dieu a dit : "Que les généralisations soient", et que cela a toujours été depuis lors.

Q : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Sheckley : Il n'y a pas quelque chose : il y a juste le néant déguisé en quelque chose qui ressemble beaucoup à Depardieu. C'est, entre autres, la signification réelle du cyberespace.

 

Retour à la page Robert Sheckley