La trilogie de Mars

 

Mars la Rouge (Red Mars)

Roman paru dans la collection Presses de la Cité, traduit par Michel Demuth. Prix Nebula et British SF Award 1993.

Cent des plus grands scientifiques de la Terre, représentant principalement les États-Unis et la Russie, sont envoyés sur Mars afin d'y préparer l'installation durable des hommes. Parmi ces cent premiers, John Boone, le premier homme à avoir posé le pied sur Mars lors d'une précédente mission, rentre rapidement en conflit, aussi bien sur un plan personnel (banal triangle amoureux) que politique, avec Frank Chalmers, censé diriger la partie américaine des colons.

Kim Stanley Robinson réalise un véritable défi dans cette saga dont le premier volume est à lui tout seul un pavé monumental à tous points de vue : la conquête de Mars est abordée avec une grande rigueur aussi bien scientifique (avec parfois une légère lourdeur - désolé pour l'oxymore - pour le lecteur non familier de la topologie martienne) que politique. Que l'on soit ou non d'accord avec les conclusions qu'apporte Robinson (mais Shikata ga naï, de toute façon...), force est de constater qu'il a le mérite de poser les vrais problèmes susceptibles de surgir en pareilles circonstances : de la nécessité du terraforming aux problèmes d'immigration, de dépendance envers la Terre, de gestion des ressources, les enjeux sont évoqués sans manichéisme et sans éluder les questions essentielles. Mais cet aspect politico-historique est abordé à travers des personnages complexes, dont les conflits personnels se mêlent aux luttes politiques. Les idées des uns et des autres sont sans cesse remises en question (dès les premières pages, en fait), parfois avec sarcasme, car les discours et les situations sont tout au long du roman considérées du point de vue de personnages différents.

 

Mars la Verte (Green Mars)

Roman paru dans la collection Presses de la Cité, traduit par Michel Demuth. Prix Hugo et Locus 1994.

La résistance doit se terrer dans l'underground en attendant le moment propice pour renaître. Encore faut-il qu'elle arrive à se réunir et à fonder un projet commun, malgré ses divisions, à travers les générations...

Le rythme de ce roman est assez lent au début, ce qui est logique puisqu'il décrit une hibernation, et la situation apparaît comme figée, la monotonie n'étant rompue que par l'excellent passage du séminaire de Praxis. Mais ce terreau est propice à une évolution des personnages, en particulier Sax Russell. La complexité est accrue quand il s'agit de préparer cette révolution en sommeil, et désormais le temps de Mars La Rouge, cette "époque où les choses étaient plus simples, où des personnalités distinctes pouvaient trouver des solutions nettes" est bel et bien révolu. Que réserve cette cocotte-minute ? Il faudra peut-être attendre Mars la Bleue pour le découvrir complètement.

 

Mars la Bleue (Blue Mars)

Roman paru dans la collection Presses de la Cité, traduit par Michel Demuth. Prix Hugo et Locus 1997.

Alors que s'éteignent les braises de la deuxième révolution, il faut maintenant se décider sur ce que l'on veut faire de Mars. Les dissensions entre les factions de l'underground sont maintenant des clivages politiques, et le problème d el'immigration est plus brûlant que jamais  : la Terre est une fourmilière surpeuplée qui menace d'envahir Mars.

Ce dernier opus est de la même veine que les précédents, et le problème devenu central ici, à savoir l'immigration, est toujours traité d'un point de vue différent suivant le personnage mis en avant, ce qui fait l'intérêt de cette trilogie. Les personnages continuent ainsi leur évolution, et certains sentiments masqués (même si le lecteur les avait devinés depuis longtemps) transparaissent maintenant. C'est que, après tant de débats, de péripéties, d'intrigues, de révolutions, d'émotions, la boucle finale est utile, aussi bien pour les personnages que pour le lecteur, qui peuvent ainsi se rafraîchir la mémoire logiquement défaillante à propos des deux siècles et deux mille pages qui viennent de s'écouler.

On s'étonnera toutefois (et cela vaut pour les trois tomes) que les personnages de Kim Stanley Robinson aient décidément une fâcheuse tendance à toujours mettre leur vie en péril et à se laisser piéger par les éléments lors de sorties aventureuses, ce qui laisse une image de cadre scénaristique répétitif.

 

Bref, devant tant de réalisme socio-scientifico-politique, on ne peut que s'incliner comme devant l'artisan d'un ouvrage dans lequel perlent à la fois la sueur, le talent et la profondeur de vue. Quand je vois une carte de Mars maintenant, qui ne représente rien pour personne, je me dis que quelqu'un a réussi à la faire vivre, cette planète. Et si rares sont ceux qui l'ont lu assez attentivement (faute de temps et de patience) pour s'en imprégner complètement, on sait néanmoins que ces lieux peuvent désormais avoir une âme, grâce à un démiurge nommé KSR.

 

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