La terrible épreuve de Marie-Ghislaine

 

Un simple papier froissé allait bouleverser la vie de Marie-Ghislaine de Sémillon de la Torre-Pionchet. Il se présentait sous la forme d'une note nonchalamment posée sur la table du grand salon, telle qu'elle la découvrit avec effroi un beau matin :

 

Madamch,

Che chuis décholée maich che doich vous quittech pour rechoindre ma cheur gravement maladch. Ch'echpère que chela ne vous déranchera pas trop de fairch vous courches vous-mêmch pour une chournée ou deuch, le temps de trouvech une remplachante.

Maria

PS : au pachage, il faudra que je penche à conchulter au chuchet de mes problèmches d'écriture, alors mêmch que je parle franchais chans le moindre acchent.

 

Ne trouvant de mots pour qualifier cette attitude irresponsable et insolente, Marie-Ghislaine alla consulter son cher Edmond, dont le portrait, qui trônait fièrement sur le mur, n'avait pas été dépoussiéré depuis la veille, ce qui indisposait Marie-Ghislaine. Elle fit néanmoins face à la photo et lui lut la lettre avant de supplier :

- Oh mon Dieu, Edmond, dites-moi comment faire !

- Euh, comment dire, ma mie, faut pas se véner pour ça, ta bonne t'a laissé choir, cela n'est point si grave. (Marie-Ghislaine avait arrêté depuis longtemps de se formaliser du langage étrange parlé dans l'au-delà. Après tout, les voies du seigneur sont impénétrables...) Diantre, ressaisissez-vous, ma chère, et affrontez avec sérénité cette épreuve. Elle est relou, la conchita, mais cet fort fâcheux ne saurait vous causer du déplaisir. Il faut se motiver, que diable !

- Mais enfin, Edmond, vous comprenez bien l'ampleur du drame qui se joue. Devoir sortir parmi les gens, n'est-ce point enquiquinant ? Enfin, vous savez bien que je suis allergique à la populace.

- Que nenni, ma mie ! Ils vont pas te chourer ton keuss, c'est quand même pas la zone, là dehors. Allez, tout beau, madame, séchez donc ces larmes que je ne saurais voir et ne les calculez point : ils seront tous fort serviables. Cela n'est-il pas beau d'être assuré de son fait, quand il nous faut côtoyer ces manants ? Gardez la tête haute !

 

- Oui, Edmond, vous avez raison, comme toujours, je franchirai ce nouvel obstacle imposé par le destin qui nous a déjà tellement atteint.

- Non, vraiment, je ne peux pas, c'est trop... dégradant.