Poursuivant sa route, Marie-Ghislaine arriva à un marché à un ciel ouvert. L'horreur atteignait son paroxysme : la populace grouillante se pressait devant les étals crasseux et se bousculaient à qui mieux mieux, n'épargnant personne, y compris Marie-Ghislaine, sans respect ni égards pour sa condition. Un jeune immigré d'origine africaine vint l'alpaguer :
<< Madame, venez jouer, vous pourrez devenir riche. >>
Elle réprima l'envie de lui rétorquer qu'elle l'était déjà. Elle consentit néanmoins aimablement à le suivre jusqu'à une table, derrière laquelle un homme mélangeait trois cartes : << Allez, retrouvez la reine de carreau ! Hop, hop, où est-elle ? >>
L'homme qui l'avait accompagnée paria sur celle du milieu et emporta la mise : << Vous voyez, c'est facile. Allez-y ! >>
Marie-Ghislaine était touchée de voir ces jeunes gens s'amuser ainsi ; cela lui rappelait les jeux de cartes de la première communion de son neveu Henri-Augustin (Quel charmant bambin !). Ces distractions étaient d'une naïveté émouvante, même si elles dénotaient une certaine immaturité. Polie, Marie-Ghislaine n'en fit point la remarque. Elle ne voulait pas vexer ces personnes de couleur, car elle n'était aucunement raciste, bien entendu. D'ailleurs, elle avait eu une servante noire, il y a vingt ans de cela, qui, malgré tout, était charmante...
<< Allez, 200 francs le pari ! >>, cria l'homme derrière la table.
<< Oh, je suis désolée... Je n'ai que des billets de 500 francs sur moi. >>
Tout le monde recula d'un pas, ce qui soulagea considérablement Marie-Ghislaine, qui n'aurait pas pu supporter plus longtemps l'odeur et le souffle oppressant de la foule. Elle resta seule devant la table de jeu. Le silence se fit aux alentours. L'homme mélangea les cartes : << Alors ? Où est ma belle reine de carreau ? >>