Bleue comme une orange

(titre original : Greenhouse summer)

 

Roman paru chez Imagine Flammarion et J'ai Lu, traduit par Roland C. Wagner.

Il y a plusieurs façons d'envisager la réponse au réchauffement climatique. L'une s'interroge sur les seuils d'alerte - sans doute trop tardifs - qui pourront persuader nos sociétés de l'urgence qu'il y a à mettre en œuvre une révolution indispensable de tout notre mode de vie et de nos modèles économiques ; l'autre regarde, plus pragmatiquement, où sont les intérêts des uns et des autres. Évidemment, ce maître contemplateur du cynisme qu'est Spinrad adopte la seconde solution. Car, au moins de façon transitoire (et l'on sait que très peu de gens raisonnent à long terme), tant que la viabilité de la planète toute entière n'est pas menacée (ce que Spinrad appelle la Condition Vénus), il y a des gagnants et des perdants. Le fait que ces derniers soient de loin beaucoup plus nombreux est à relativiser puisqu'ils sont extrêmement pauvres, alors que les premiers sont par définition destinés à s'enrichir de plus en plus au fur et à mesure que le climat se réchauffe à leur avantage, par exemple dans la Sibérie dorée.

Que des zones entières de la surface terrestre soient devenues complètement inhabitables pour l'homme, ou que des centaines de millions de réfugiés aient fui les terres englouties par la montée des eaux, cela importe peu. Les énièmes conférences de l'ONU sur le sujet n'intéressent toujours personne. Monique Calhoun, citoyenne-actionnaire du consortium Panem et Circenses, n'a pas la tâche facile. Experte ès marketing et communication, elle doit vendre une réunion de scientifiques à un public blasé qui ne se passionne pas pour les Cassandre, surtout dans un Paris tropical très idéalisé (c'était en ces temps bénis d'avant-canicule...) qui se la coule douce le long de la Seine aux berges verdoyantes, où la mode est à la nostalgie de la Louisiane perdue.

La morale n'est pas toujours du côté où on le pense. Le camp des "Bleus", ceux qui veulent mettre fin au désastre, est ainsi financé et manipulé par les derniers capitalistes, recyclés dans la vente de technologies de refroidissement à grande échelle. Le camp des "Verts", conservateurs satisfaits de leur position, n'est pas forcément aussi bêtes que les capitalistes au point de privilégier les bénéfices à la survie. Si la Condition Vénus se produit, alors l'intérêt particulier peut éventuellement se rallier à l'intérêt général. Encore faut-il avoir la certitude absolue qu'elle est pour tout de suite. En climatologie, autant demander l'impossible... Qu'est-ce dans ce cas que ce "modèle ultime" sur lequel le secret est soigneusement maintenu ?

Lorsque la conscience morale entre en conflit permanent avec les intérêts personnels, et vice et versa, lorsque l'on ne sait plus quelle cause on défend, lorsque les raisonnements sur les buts à atteindre peuvent se retourner toutes les trois pages à la faveur d'un méandre supplémentaire dans ces jeux de pouvoir (et de boudoir), lorsqu'il devient parfois fondamental d'aider son ennemi malgré lui, on sait qu'on a affaire à un Norman Spinrad plus retors que jamais.

Qui plus est, avec un problème aussi grave que le réchauffement climatique, sans doute le plus épineux auquel l'humanité a été confrontée dans son histoire, Spinrad n'a heureusement pas osé s'en tirer avec une pirouette et balancer une solution simple qui ne correspondrait en rien à la complexité de la réalité (si l'on occulte le fait que l'existence même de l'industrie climatech est en soi une hypothèse trop facile). Cette fois, il n'y aura pas de coïncidence providentielle, pas non plus de guérison-miracle sexuellement transmissible. Enfin, Norman Spinrad va au bout des imbrications complexes de son raisonnement. Alors, même s'il a été par le passé plus spontané et moins complaisant, cela reste la grande force de ce roman par rapport à l'ensemble de son œuvre.

 

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