Les maîtres chanteurs

(titre original : Songmaster)

 

Roman d'Orson Scott Card paru chez Folio SF (n°66), traduit par Jean Bonnefoy.

Dans un de ses nombreux essais provocants sur la science-fiction, Thomas Disch avait avancé que le genre était resté une littérature pour enfants, et plus particulièrement pour enfants surdoués qui s'identifient jusqu'à l'âge adulte à des héros super-intelligents. Aucune œuvre n'illustre aussi bien cette thèse que celle d'Orson Scott Card, qui regorge d'enfants appelés à assumer un destin trop grand pour eux. Dans ce thème vieux comme Van Vogt, "Les maîtres chanteurs" est un cas à part, en ce que le talent du personnage principal est un talent... artistique. Un mot qui aurait de quoi rebuter tous les slans du fandom.

La Manécanterie est en effet une vénérable institution qui a placé l'art du chant à ses sommets. Des centaines d'enfants y sont éduqués, et rares sont ceux qui parviennent au statut exceptionnel d'Oiseau-Chanteur. Ceux-là sont confiés à des personnalités jugées dignes d'apprécier leur chant et de goûter à cet inestimable privilège. Or, l'empereur Mikal, l'homme qui peut détruire des planètes d'un revers de main, attend, impatiemment, de recevoir le sien.

Chez Card, les enfants-héros sont toujours éduqués, manipulés, façonnés. La confrontation est donc inévitable entre le pragmatisme politique, qui permet à l'auteur de donner libre cours à ses thèses impérialistes, et l'insurpassable émotion du chant qui doit transcender les cœurs. Il aboutit au plus poignant de ses romans

Les Maîtres Chanteurs a parfois étonné par la mise en scène de désirs pédophiles, loin d'être niés par Card qui les voit au contraire comme des penchants naturels devant être combattus, ainsi que de relations homosexuelles, ce qui a parfois dû le conduire à se justifier auprès de ses collègues mormons. La frontière est fatalement mince puisque ces pulsions relèvent toutes deux du péché pour Card, ce qui ne l'empêche pas de présenter un personnage homosexuel complexe et humain. Pour comprendre son point de vue sur la question, il faut se référer à son célèbre pamphlet de 1990 : "Si l'Église n'a pas d'autorité pour dire à ses membres qu'ils ne peuvent pas s'engager dans des pratiques homosexuelles, alors elle n'a pas d'autorité du tout. Si nous acceptons l'argument des hypocrites de l'homosexualité que leur péché n'en est pas un, nous nous sommes détruits nous-mêmes. [...] L'homosexuel repentant doit être traité individuellement avec compassion. Mais le comportement collectif des hypocrites de l'homosexualité doit rencontrer nos arguments les plus forts et notre complète intolérance à leurs mensonges. Agir autrement serait donner plus de respect aux opinions des hommes qu'aux jugements de Dieu."

 

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