Je ne vois pas ce qu'on me trouve
Un film de Christian Vincent, France, 1997
Je vous sens déjà en train de vous demander si je ne suis pas en train de dérailler. Quand je cite un film aussi quelconque a priori, il ne m'est pas difficile de deviner ce qui vous vient à l'esprit : vous ne voyez pas ce que je lui trouve... Après tout, il s'agit d'un scénario banal sans ligne directrice forte dans des décors gris, avec pour acteur principal un comique de télévision (Jackie Berroyer) et pour réalisateur un ancien assistant de Max Pécas, avec qui il a pu apprendre ces deux bases du cinéma français que sont les seins nus et la plage de Saint-Tropez...
Je caricature volontairement, bien sûr. Le réalisateur en question, c'est Christian Vincent, qui a remporté un César de la meilleure première œuvre avec La Discrète, comédie cultivée très parisienne avec Fabrice Luchini. S'il a utilisé son background professionnel, c'est plutôt son travail chez France 3 Nord-Pas-de-Calais. Il met d'ailleurs en scène une équipe de télévision régionale pour souligner d'entrée la fragile et futile célébrité du personnage principal, un humoriste revenu, comme invité d'une "nuit du cinéma comique", à Liévin, sa ville d'origine, qu'il utilise comme décor dans ses sketches mais qu'il n'a pas revue depuis trente ans. Les dévoués organisateurs de cette petite manifestation culturelle locale, tout droit sortie d'un reportage du programme régional de France 3, sont aussi pathétiques que sympathiques dans leur dévouement, débordés qu'ils sont par l'évènement, majeur pour eux, banal pour le maigre public.
Parmi eux, une jeune femme est chargée d'être aux petits soins pour Monsieur le comique venu de Paris et de l'accompagner dans son séjour, y compris pendant le détour obligé vers les lieux de son enfance. Évidemment, il ne peut s'empêcher de lui jouer un petit numéro de séducteur. Alors, redite de La Discrète avec Berroyer en Luchini du pauvre ? Absolument pas... Car le rôle de la mystérieuse et troublante inconnue ne fait pas partie des attributions de l'hôtesse, excellemment interprétée par la formidable Karin Viard. Si elle s'est forgée une carapace si intrigante, ce n'est pas pour jouer à la femme-mystère, c'est pour protéger un secret tout personnel. Faute de l'avoir compris, le pauvre comique, pris d'une impulsion romantique comme on n'en voit que dans les films, se retrouve en position de se ridiculiser en commettant une impardonnable gaffe, une situation bien moins burlesque que le film des Marx Brothers qui passe à la même heure au cinéma de quartier.
L'humoriste est finalement pris à son propre piège, et le sketch qui l'a rendu célèbre, "Je ne vois pas ce qu'on me trouve", où il se demande ce qu'il a fait pour mériter l'attention qu'on lui porte, lui est renvoyé comme un boomerang. Il n'a rien fait non plus pour mériter pareille humiliation finale, un bide qui hante les cauchemars de tout artiste. Mais c'est la vie, dont les aléas font et défont la réussite sans qu'il y ait matière à s'interroger sur la justice de tout cela. Le contrepoint de l'échec du comique est représenté dans ce film par le "succès amoureux" de son fils - joué par Tara Römer, acteur qui mourra deux ans plus tard des suites d'un accident de voiture. Ultime prolongement tragique qui rappelle que la vie n'est pas un jeu.
Car dans ce film, il n'y a ni des personnages beaux, malins et intelligents, ni des anti-héros rebelles, ni des soi-disant paumés têtes à claques, seulement des gens normaux et hésitants, qui ont le droit d'être maladroits, et qui, bien malgré eux, exercent ce droit. La vie quotidienne, floue et qui n'obéit à aucune raison supérieure, dans un film qui est tout bonnement réaliste et humain. À l'image du Pas-de-Calais ?