Les enfers virtuels
(titre original : Surface Detail)
Roman paru en deux tomes chez Ailleurs et Demain, traduit par Patrick Dusoulier.
La Galaxie se divise sur une question morale de la plus haute importance : faut-il autoriser ou détruire les Enfers, ces réalités virtuelles à la cruauté inimaginable dans lesquelles certaines civilisations envoient à la damnation les âmes pécheresses afin de mieux imposer leur ordre aux vivants ? Pour solder ce conflit, les clans pro-Enfers et anti-Enfers mènent une guerre virtuelle, comme cela se fait entre gens civilisés. La guerre, comme le jeu, a ses codes : on a le droit - et même le devoir - de trahir, bien sûr. Par contre, on ne triche pas, on s'en tient aux règles, et on ne déborde pas dans le réel. Et quand on se déclare neutre, on n'intervient en aucune façon, comme c'est le cas de la Culture dont on connaît pourtant l'évidente inclination morale pour le clan anti-Enfers.
On reconnaît la pure science-fiction à ce que l'intrigue (qui n'avance guère) et même les personnages sont secondaires par rapport aux descriptions de civilisations, donc aux enjeux et aux idées qu'elles recouvrent. On ne leur rendrait pas justice en les résumant platement : Iain M. Banks transpose le débat sur la peine de mort en y ajoutant son goût pour les descriptions de tortures. Quand il mêle intelligemment à la fois la création religieuse de l'enfer et les politiques de répression, il dépasse cependant la pure métaphore des débats terrestres. Il touche à l'universel, ce qui est le but ultime de l'auteur de SF (certains d'entre eux croient que c'est de toucher à la métaphysique, mais l'athée Banks n'aura jamais cette vaine prétention).
Une fois de plus, Banks élargit sa perspective. D'un côté, il livre un savoureux exemple de la puissance de la Culture en action au grand dam d'ennemis plus belliqueux que futés, qui subissent la délicieuse ironie d'un de ses vaisseaux de guerre, pour qui rien n'est plus ludique que le langage diplomatique. De l'autre, il relativise l'importance de la Culture en la remettant à sa place ("niveau huit" sur une échelle de dix) parmi les civilisations de la galaxie.
La Culture étant chez Banks un "work in progress" et non pas un cadre pré-déterminé, il continue de l'inventer en décrivant les autres sections de Contact, dont on ne connaissait que "Circonstances Spéciales" : il s'agit de Restauria, qui nettoie les mauvaises herbes technologiques, de Quietus, chargé des contacts avec les réalités virtuelles, et de Numina, qui dialogue avec les Sublimés, ces espèces qui ont dépassé l'ennui de la civilisation matérielle et se sont enfui dans une dimension supérieure.
Il va de soi que ces raffinements ne seront appréciés que par ceux qui sont déjà imprégnés par la Culture. Aborder ce roman sans y être familiarisé constituerait une grave erreur d'orientation.