Sitôt l'achat effectué, Marie-Ghislaine jeta la statuette dans le caniveau et rangea l'argent. Elle n'avait pas eu d'appréhension au contact de ces pièces sales, ce qui l'effraya. "Nécessité fait loi", dit-on. Etait-ce cela, ou bien s'était-elle avilie à force de côtoyer le peuple au point de s'habituer à des gestes qui l'auraient révulsé en temps normal ? Elle eut un frisson.

Dans le même temps, Paul Maranzé ne se sentait plus de joie. Il avait failli s'évanouir lorsqu'il avait palpé la texture du billet tendu par cette idiote. Un rapide coup d'œil à l'année d'émission du billet lui avait provoqué des palpitations, car il comprit que ce rectangle de papier flou était bien un billet si rare et si coté qu'il n'aurait jamais espéré que la providence prendrait la forme d'une vague forme féminine enfouie sous une dizaine de couches de maquillage et de fond de teint pour le lui offrir. Et dire que, par une ridicule hésitation éthique, il avait failli lui rendre le billet.

Il s'était mordu la langue après lui avoir demandé confirmation. Il se serait tué si elle avait décidé de reprendre ce trésor à cause de sa maladresse et de son imprudence. L'ignorance n'étant pas une excuse, tant pis si cette femme l'avait payé avec un billet coté mille fois le prix pour lequel elle le lui avait donné. Quelle étourderie étrange, quand même... Il préféra ne pas y penser. Ce n'était pas son problème, après tout.

*

Ne restait plus à Marie-Ghislaine qu'à entamer des emplettes proprement dites. Elle tenta de réfléchir à ce qui était nécessaire à un repas et conclut avec logique qu'il lui fallait de la viande. Elle se dirigea vers l'étal du boucher, le long duquel une dizaine de personnes faisaient la queue. Lorsqu'elle les dépassa, elle subit avec agacement leurs réprimandes.

<< Enfin, mesdames et messieurs, un peu de tenue ! Je suis bien plus importante que vous, ayez-en bien conscience. En quelle page du Who's who êtes-vous ? Mmmm ? (Elle les regarda d'un air condescendant). Alors, un peu de respect, s'il vous plaît. >>

Ils prirent un air ahuri et ne surent quoi répondre jusqu'à ce qu'une grosse femme rétorque : << Cessez vos caprices et faites la queue comme tout le monde ! >>

 

L'ignorer d'un air digne et s'adresser au boucher

Lui répondre avec plus de conviction et de bagout