Paradis / Purgatoire / Enfer

("L'infernale comédie")

 

Romans parus dans la collection Présence du Futur (n°559, n°560 et n°561), traduits par Luc Carissimo.

- La planète Peponi (le Kenya), appelée ainsi mais pas par ses habitants, est légendaire dans la galaxie pour sa faune sauvage, dont des espèces disparues comme les félidémons (éléphants) et autres cornesabres (rhinocéros), qui en a fait une destination prisée des safaris. Pour les pionniers humains qui y avaient débarqué, ce devait décidément être le paradis... Un paradis qui a disparu à cause des colons, des touristes, des indigènes, ou de la simple marche du temps. Même si la révolte très violente et sanguinaire menée par le groupe des Kalakalas (Mau-Mau), membre de la principale tribu de l'espèce autochtone, les Bogodas (Kikuyus), a pu être endiguée, la République (l'Empire britannique) a dû accorder son indépendance à cette planète grâce au combat de Buko Pepon (Jomo Kenyatta). Après la mort du leader charismatique, comment mettre fin au tribalisme et à la corruption qui gangrènent ce monde autrefois si merveilleux ? Et surtout... ce paradis perdu auquel chacun fait référence, a-t-il vraiment existé ?

- Les chefs traditionnels de la planète Rocaille (la Rhodésie) sont méfiants à l'heure de négocier avec les explorateurs humains. Mais la puissance de la Société du Bras Spiral (British South Africa Company) dirigée par Violette Jardinier (Cecil B. Rhodes) lui permet de prendre le contrôle de ce monde qui sera modelé sans pitié pour les besoins économiques, notamment par la création d'un grand barrage qui forme le lac Zantu (lac Kariba) sur le Karimona (Zambèze) et signe l'arrêt de mort d'une tribu. Peu à peu, la République s'offusque du peu de droits qu'ont les autochtones, et les colons, présidés par John Blake (Ian Smith), coupent les ponts avec la communauté galactique et subissent l'embargo de tous sauf la planète Chrysalide (Afrique du Sud). Néanmoins, les indigènes sont majoritaires et leur prise de pouvoir est inéluctable. Rocaille devient Karimon (Zimbabwe), du nom de la grande civilisation dont elle était autrefois le siège, et la capitale Athènes (Salisbury) devient Talami (Harare). Comment gérer les conséquences de la guerre de libération ? Mis en garde par son ami Mordecaï Kiichana (Samora Mechel), dirigeant d'Alpha Bednares II (Mozambique), contre le danger d'un départ brutal des colons, le président Thomas Paka (Robert Mugabe) tente d'abord de pratiquer une politique pragmatique, mais pourra-t-il lutter longtemps contre la volonté populaire d'une réforme agraire qui expulserait trop brutalement les propriétaires terriens et ruinerait l'économie ? Son pays n'est-il pas en purgatoire ?

- Sur Faligor (en Ouganda), aucune des erreurs commises ailleurs n'a été répétée. L'exploration humaine s'est faite sans colonisation de peuplement. Les humains (Européens) sont restés discrets et l'unique main d'œuvre importée a été les taupes (Indiens) venus initialement travailler dans les mines, et ensuite reconvertis dans le commerce. Mais le dernier sitat (kabaka), chef traditionnel de la tribu des Entoki (Baganda), Robert Tantram (Frederick Mutesa), est trop empressé d'imiter les humains. Il perd les élections contre William Barioke (Milton Obété), un membre de la tribu minoritaire des Rizzali (Lango) qui devient le premier président de la république indépendante. Celui-ci est renversé par le coup d'état militaire du tristement célèbre Gama Labu (Amin Dada) qui se révèle bien vite un dictateur fou qui multiplie les exécutions et expulse les taupes, avant de perdre le pouvoir dans une guerre contre un voisin (la Tanzanie), ce qui provoque le retour de Barioke. L'histoire de Faligor est ainsi un enfer, une succession de massacres, où les dirigeants accueillis en libérateurs rivalisent de cruauté dans l'exercice du pouvoir. Mais d'où vient l'erreur ? Tout destinait ce monde à la prospérité et les humains voulaient en faire un exemple, un modèle de bienveillance. Mais ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions...

Vous l'aurez compris, à travers trois histoires d'arrivée de l'homme sur trois planètes fictives, Mike Resnick conte sans se cacher l'histoire de trois pays africains. "Pourquoi utiliser la science-fiction", peut-on se demander. Effectivement, le fait de décrire trois espèces différentes (reptilienne, etc) change fondamentalement les données par rapport à la colonisation de l'Afrique, même si on pourra objecter que les premiers colons considéraient les "Noirs" comme une espèce, ou plutôt une "race", différente. Ceci dit, l'intérêt de la parabole est qu'elle permet de comprendre plus directement l'essentiel et nécessite de faire un travail de recul.

Ce recul et cette ouverture d'esprit, inhérents à tout bon roman de science-fiction, c'est une des grandes qualités de Mike Resnick. Mais le fait qu'il use de la parabole n'est-il pas révélateur et ne signifie-t-il pas que le sujet est trop sensible pour être abordé directement ? Le thème de la colonisation est en effet rarement épargné par les a priori et paradigmes aveuglants qui entravent le débat.

Dans Paradis, Resnick se construit ainsi un alter ego écrivain chargé d'écrire l'histoire de Peponi et qui se fixe comme mot d'ordre absolu l'objectivité. Il retranscrit ainsi avec honnêteté et en tentant de les comprendre les avis des uns et des autres. Cette difficulté à saisir l'opinion de l'auteur fait le charme indéfinissable de Resnick, et comme le Kenya est le pays qu'il connaît le mieux, ce premier volet est le plus subtil. En comparaison, Purgatoire est trop droit, trop linéaire, trop factuel, alors qu'Enfer est celui où l'auteur est le plus subjectif et laisse libre cours à sa thèse qui prend corps alors que se complète la trilogie.

Si l'on fait abstraction du contexte extra-terrestre comme Resnick a fait abstraction du contexte africain, on aurait tort de sous-estimer ses romans qui peuvent de prime abord paraître utiliser des raccourcis. En réalité, les titres Paradis, Purgatoire et Enfer sont trompeurs et ne désignent pas de bons ou de mauvais exemples. La conclusion de Paradis paraît même la plus pessimiste tandis que celle d'Enfer semble porteuse d'espoir, probablement parce que tout est relatif.

La conclusion finale est l'antithèse du manichéisme que suggèrent les titres, et amène à penser qu'il n'y a pas de "bonne" colonisation ni d'ingérence "bénéfique". Se pose alors la question de savoir dans quelle mesure il est utopique de croire en une société préservée d'une influence extérieure et ainsi capable de conserver sa culture... Et c'est justement le thème qu'abordera ensuite Mike Resnick dans Kirinyaga.

 

 

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