Quatre chemins de pardon
(titre original : Four Ways to Forgiveness)
Recueil d'Ursula Le Guin paru chez l'Atalante, traduit par Marie Surgers. Prix Locus 1995 du meilleur recueil de nouvelles.
Le classement en "recueil de nouvelles", choix de l'auteur du fait de la polyphonie de personnages, peut être trompeur puisqu'il existe dans la science-fiction des textes avec moins de personnages et de lieux en commun qui sont classés en romans. Il s'agit en effet de quatre textes de longueur croissante, et sans doute d'intérêt croissant, en ce qu'ils dévoilent chacun un peu plus leur sujet commun.
La planète Werel a exploité sa colonie Yeowe en la peuplant uniquement d'esclaves et de leurs gardiens. Esclaves d'abord uniquement masculins, jusqu'à ce que les corporations s'aperçoivent que le transport d'esclaves coûtait cher et qu'amener des femmes permettait d'assurer une reproduction sur place plus rentable. La culture y a été fondée de ce fait sur une extrême domination masculine, qui a perduré pendant et après la guerre de libération.
Le message humaniste de Le Guin s'adresse aux opprimés de tout poil plus qu'aux oppresseurs : il ne peut y avoir de véritable discours de liberté si la moitié féminine reste elle-même omise ou soumise. Les révolutions se fondent souvent sur la force, les armes, la verve oratoire, les grands discours, autant de valeurs fréquemment masculines qui en trahissent l'esprit. Elle ne connaît qu'une valeur cardinale : l'éducation.
La clé de l'humanisme de Le Guin est personnelle plus que dans les discours politiques. Elle commence dans les gestes quotidiens et dans l'attention d'une vieille femme (d'où la première nouvelle anecdotique), dans un effort d'écoute qui ne peut être que mutuel ; d'où la deuxième nouvelle où l'ambassadrice libérée de l'Ekumen et son garde du corps rigide et conservateur font aussi peu d'efforts pour se comprendre l'un que l'autre. Ce qui intéresse Le Guin, ce sont les parcours personnels, sensibles, sensuels. "C'est dans nos corps que nous perdons ou découvrons la liberté. Dans nos corps que nous acceptons ou abolissons l'esclavage."
La liberté, c'est les autres... (ou du moins, le rapport à l'autre). Désolé si cela contredit un philosophe-révolutionnaire professionnel que Le Guin n'a jamais porté dans son cœur, depuis ses études en France dans les années cinquante...