Une femme sans histoires

(titre original : A quiet woman)

 

Roman de Christopher Priest paru chez Présence du Futur (n°625), traduit par Hélène Collon.

Alors que son précédent manuscrit a été interdit par le ministère de l'Intérieur sans raison apparente, Alice Stockton apprend que sa voisine Eleanor Hamilton a été assassinée. Elle se met alors en tête d'écrire la biographie de cette femme âgée et mystérieuse, dont elle ne sait que peu de choses - si ce n'est qu'elle a autrefois été elle aussi écrivain - alors qu'elle était pourtant sa meilleure amie et confidente.

Priest dessine une Angleterre dont les habitants impuissants perdent le contrôle de leur avenir, subissant les retombées de l'accident nucléaire du (amis de la crédibilité, détournez les yeux) surgénérateur (!) de La Hague, l'influence des bureaucrates de la Commission Européenne de Bruxelles, mais aussi la délégation de pouvoir de leur gouvernement à des entreprises privées. Dans ces derniers pôles de pouvoir, certains cherchent encore la puissance à tout prix, quitte à l'obtenir dans un univers fantasmé, où le désir se nourrit de ce climat de peur.

Priest fait dire à Eleanor : "Pour moi, un livre doit avoir l'air de révéler quelque chose de son auteur, on doit avoir l'impression d'y trouver des éléments intimes de la vie de l'écrivain. Mais il faut également qu'il comprenne des détails contradictoires qui manipulent la vérité, par exemple un roman écrit par une femme et qui semble authentique, vécu, alors que son personnage central est un homme." En cela, Priest est expert, quand il juxtapose des récits incompatibles, quand il mêle monde réel et monde imaginaire, quand il tisse une biographie dans le canevas de faits historiques, et quand il la sème de références pour mieux jouer avec la vérité. Le nœud est inextricable, et l'ambiguïté totale. "Ma nature est de dissimuler, de travestir ; j'ai la fiction dans l'âme. Détourner la vérité, voilà ce qui m'a toujours plu." Et c'est aussi ce qui nous plaît chez Priest, qui est à la littérature ce que le David Lynch de Lost Highway ou Mulholland Drive sera au cinéma.

 

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