Cordwainer Smith (1913-1966)

 

Bien qu'il ait commencé à lire et à écrire de la science-fiction pendant son adolescence passée aux quatre coins du monde, Paul M. A. Linebarger n'a pris le pseudonyme de Cordwainer Smith qu'en 1950 et n'a que très peu publié avant de céder aux pressions de Frederik Pohl, alors rédacteur en chef de plusieurs revues, dans les années 60. Comme il considérait l'écriture comme un loisir, son œuvre est donc peu abondante et constitue une sorte de collection de fragments, même si elle est entièrement articulée autour d'une unique chronologie du futur, dans un cycle connu sous le nom des Seigneurs de l'Instrumentalité.

Il est issu d'une riche famille chrétienne épiscopalienne qui a exploré sa généalogie jusqu'à ses ancêtres alsaciens au Moyen Âge. Son père, Paul M. W. Linebarger, a sillonné le monde, et en particulier l'Asie, en suivant tout particulièrement le parcours de Sun Yat-sen - fondateur du Kuomintang et premier président de la République chinoise - qu'il a financé et qu'il a inlassablement contribué à faire connaître aux États-Unis. Paul junior, qui a eu Sun Yat-sen pour parrain, a donc vécu une enfance itinérante au milieu des révolutions et de la fièvre politique de la Chine d'avant-guerre, et s'il est né en territoire américain (à Milwaukee), c'est simplement parce que son père voulait ainsi lui laisser la possibilité légale... d'être éligible comme président des États-Unis.

Paul junior, qui parle couramment cinq langues et est passé maître dans le ton diplomatique, a étudié sur les trois continents (Asie, Europe et Amérique) et a partagé sa vie entre les sciences politiques, la poésie et la littérature de science-fiction. À partir de sa connaissance des époques troublées et des multiples chocs politiques qu'a vécu la Chine dans la première moitié du XXè siècle, il a conçu une certaine expérience des us et coutumes de la propagande et de la persuasion. Il a appliqué cet art de manière théorique, dans son ouvrage La Guerre Psychologique, publié par l'armée américaine, et de manière pratique, comme conseiller de cette même armée en Malaisie et en Corée dans les années 50.

 

Les Seigneurs de l'Instrumentalité (1955-1966)

Intérêt

Divertissement

1) Tu seras un autre (You'll never be the same)

12/20

12/20

2) Le rêveur aux étoiles (The Stardreamer)

13/20

15/20

3) Les puissances de l'espace (Space Lords)

14/20

13/20

4) L'homme qui acheta la Terre (the boy who bought old Earth)

13/20

14/20

5) Le sous-peuple (The Underpeople)

13/20

13/20

6) La quête des trois mondes (Quest of the three worlds)

13/20

12/20

Il faut préciser que le découpage et l'ordre de ces six volumes correspond au choix de Jacques Goimard, le directeur de collection de Pocket SF, car l'œuvre elle-même existe principalement de manière fragmentaire et n'a pas été pensée pour la publication. Certaines nouvelles incluses dans le premier tome ne sont pas considérées par tous les observateurs comme faisant partie du cycle, et c'est vrai que ces textes qui rebondissent sur l'histoire moderne ont un lien très diffus avec l'histoire du futur proposée.

C'est pourquoi Les Seigneurs de l'Instrumentalité ne prennent tout leur intérêt qu'à partir du deuxième volume, quand se tisse le lien qui unit toute l'œuvre, sans pour autant perdre de vue que chaque texte conserve son originalité. Naissent alors les moments les plus burlesques comme cette rencontre avec une espèce de volailles qui n'est jamais rassasiée et qui menace d'avaler tous les produits de la Terre jusqu'à ce qu'elle se révèle elle-même savoureusement comestible. Moins amusants mais plus profonds sont les textes du troisième volume, en particulier celui de la planète Shayol, le châtiment pire que la mort.

Dans les récits de sa conquête de l'espace perce en effet l'interrogation sur la nature de l'humanité, et c'est là que d'une certaine manière la forme reflète le fond. Je m'explique : le fil rouge ténu sur lequel repose l'ensemble du cycle est l'idée selon laquelle l'humanité, après avoir longtemps recherché la sécurité de la perfection, s'éteint de mort lente parce qu'elle a abandonné sa vitalité, et se doit donc de redécouvrir les maux anciens - les différences, les langues, les nations, les maladies - pour ne pas perdre son essence. De même, l'œuvre de Smith n'est pas un tableau du futur lisse et propret, en recherche de perfection et d'exactitude. C'est une histoire empreinte d'humanité, qui s'inscrit dans la filiation des légendes et de la tradition orale, et qui se permet par conséquent des respirations et des négligences tout à fait humaines.

Même quand elle cesse d'être parcellaire pour prendre une forme romanesque plus classique (volumes 4 et 5 ainsi que le dernier tome), l'œuvre de Smith n'abandonne rien de cet art du conteur qui guide le lecteur. Elle ne détient pas de vérités définitives, et même l'appréciation du rôle de chacun des personnages - qui s'inscrivent souvent dans des héritages familiaux dans lesquels il faut sans doute plus voir un caractère mythologique qu'une adoration des grandes familles - est souvent laissée au lecteur. Cette œuvre plus pointilliste que pointilleuse laisse donc surtout place au rêve.

 

 

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