L'univers en folie

 

Roman de Fredric Brown paru dans la collection Présence du futur.

Keith Winston est rédacteur en chef d’un magazine de science fiction, tout marche sans problème pour lui, quand soudain il se retrouve expédié dans un univers parallèle, suite à un flop de fusée (arianesque, bien que made in USA). Ignorant des us et coutumes de ce monde, identique au sien (à première vue !), il gaffe et par là risque d’y laisser sa peau plus d’une fois, au cours de péripéties haletantes (1).

Jusque-là rien de bien original, si ce n’est que l’univers en question semble à bien des égards être sorti tout droit d’une couverture d’Astounding Stories : en effet, monstres hideux et femmes de l’espace en sous-vêtements sexys y côtoient le commun des mortels avec le plus grand naturel, tandis que la guerre fait rage entre Arcturus et la terre, ce qui semble tout aussi normal. Comment notre héros va-t-il réussir à survivre avant de pouvoir retrouver sa princesse (s’il la retrouve ...) ? Quelle est la clef de cet univers en folie ?

L’ouvrage se présente comme un mélange détonant réussi : à la fois conte de fées et polar noir, il potentialise les deux genres en les conjuguant au mode science-fiction : la guimauve irritante du premier et la violence intrinsèque du deuxième étant par là désamorcées (ou distanciées), voilà enfin le livre de SF susceptible d’emballer à la fois votre fils et votre grand-mère, de 17 à 97 ans. Sa construction, en forme de thriller, est rigoureuse (même si les explications scientifiques sont vaseuses) et l’intrigue retombe sur ses pattes après la chute finale.

Mais sous la solide charpente classique se dessine une puissante désinvolture, distillant le charme subtil des années 60 (temps béni où cigarettes, whisky et petites pépées n’étaient pas encore notoirement cancérigènes) et quelques doses mesurées d’humour brownien : pour le film de l’histoire, on imagine aisément un héros hitchcockien, type Cary Grant, dans un scénario mélangeant La mort aux trousses à La guerre des étoiles.

A lire absolument, surtout si on en a assez des auteurs de essèfe prétentieux et ampoulés. Ce roman a le mérite rare de retomber parfaitement sur ses pieds à la fin : dans la même veine optimiste, je citerais Une Porte sur l'été de R. Heinlein : on y retrouve la même croyance au "progrès", la même candeur vis à vis des lendemains (forcément meilleurs), la même foi en l'humanité, censée disposer de son libre-arbitre.

 

(1) : parmi celles-ci, à ne pas manquer, la scène où "les Nocturnes" tueurs écument la ville, plongée dans un noir total, au moyen de cannes d’aveugles ! Spécimen remarquable d’anthologie du cauchemar...

Michèle Roger

 

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