Franz Werfel (1890-1945)

 

Issu comme Kafka d'une famille de commerçants juifs praguois, Franz Werfel est repéré par le même homme, Max Brod. Après ses études et la guerre, il s'établit à Vienne et œuvre surtout dans la poésie et le théâtre avant de se consacrer aux romans dans les années 30. Il fuit le nazisme avec sa femme Alma Mahler, veuve du grand compositeur Gustav, s'installe d'abord dans le sud-ouest de la France, passant par Lourdes et écrivant Le Chant de Bernadette, signe, sinon de sa conversion, du moins de son fort intérêt pour le catholicisme, et rejoint finalement les Etats-Unis. L'étoile de ceux qui ne sont pas nés est sa seule incursion dans la science-fiction, il mourra à Beverley Hills deux jours après l'avoir achevé.

Titre

Date

Intérêt

Divertissement

L'étoile de ceux qui ne sont pas nés (Stern der Ungeborenen)

1945

11/20

10/20

Roman paru au Livre de Poche (n°7226), traduit par Gilberte Marchegay, revu par Anne Soulé (je n'ai pas vu l'intérêt du double effort de traduction quand on apprend que le héros a étudié au "gymnase"), préfacé par Gérard Klein.

Autant je salue d'habitude les efforts de Gérard Klein pour redécouvrir ou rééditer d'authentiques chefs d'œuvre oubliés, comme le Limbo de Bernard Wolfe, autant la présente "trouvaille" me laisse perplexe, tant j'ai l'impression que son titre est usurpé et que ce roman n'a pas grand-chose à apporter à la science-fiction, surtout pas une caution de respectabilité que seule la personnalité de l'auteur - et non le texte lui-même - pourrait lui valoir.

Ce récit de voyage s'inscrit dans la tradition d'une époque fertile en utopies et en dystopies et dans la lignée d'un Huxley. Mais il n'a pas l'efficacité de ce dernier et peine à se renouveler, à la fois trop et pas assez démonstratif. Ce roman en réalité plus anthropocentriste qu'humaniste n'est pas en avance sur son temps comme peuvent l'être les meilleurs livres d'anticipation, mais plutôt en retard, et se révèle scientifiquement rétrograde, s'obstinant à nier Darwin (et accessoirement Freud).

En dépit de son érudition manifeste en culture classique et en théologie, Werfel manque cruellement de culture scientifique, ou, plus exactement, ne fait pas l'effort de raisonner scientifiquement (car quelques connaissances rudimentaires suffisent à faire le tri entre le possible et l'improbable), ce qui l'amène à de multiples non-sens et à une anticipation qui pêche par négligence et même par une indifférence doublée de mauvaise foi quant à la cohérence des techniques employées. Werfel a exactement l'attitude du profane, qui, sur la base de quelques idées reçues idiotes nées d'une interprétation simpliste de phénomènes quotidiens, se permet de remettre en cause des faits scientifiques sur la base d'arguments ridicules, comme s'il pensait que sa réflexion dépasse celle évidemment pauvre des scientifiques : ainsi explique-t-il sans broncher qu'il n'y a que très peu de magma sous la croûte terrestre car, sinon, nous bouillirions sur place.

En exacte contraposée du scientifique qui se croit tout permis et qui n'accepte aucune remise en cause éthique tant son savoir se suffit à lui-même, Werfel est le littéraire bon teint qui traite les autres disciplines avec condescendance, comme nécessitant bien moins de réflexion. Ainsi son exposé sert de tribune à des théories orientées visant toutes à nier l'évidence de la réalité pour lui préférer des mensonges philosophiquement plus réconfortants.

La description de la société future, bien que détaillée, paraît en fin de compte assez superficielle, et l'attrait du style ne dépasse pas la curiosité du premier chapitre. D'ailleurs l'unique intérêt du livre est dévoilé par cette fausse introduction : il réside dans le non-dit, dans l'indicible, dans les évènements contemporains à la rédaction du roman et dont l'ombre plane tout au long du récit.

 

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