Evgueni Zamiatine (1884 - 1937)

 

L'ingénieur naval Zamiatine ne se contentait pas d'être bolchevik, il restait surtout un libre-penseur voué à sa prose. C'est pourquoi ses dénonciations très précoces des actions de Lénine puis de Staline, et plus généralement sa vision critique de la société soviétique en construction, aboutirent à une mise au ban décidée par un pouvoir qui ne tolérait aucune contestation. Censuré, attaqué par la presse, il était victime d'un tel harcèlement administratif qu'il envoya une lettre à Staline en 1931 pour demander l'autorisation d'émigrer en des termes très directs : "Pour moi, en tant qu'écrivain, être privé de la possibilité d'écrire équivaut à une condamnation à mort. Les choses ont atteint un point où il m'est devenu impossible d'exercer ma profession, car l'activité de création est impensable si l'on est obligé de travailler dans une atmosphère de persécution systématique qui s'aggrave chaque année". Sa requête est approuvée et il s'exile à Paris, où il mourra six ans plus tard.

Roman

Date

Intérêt

Divertissement

Nous autres

1920

16/20

15/20

Roman paru dans la collection L'Imaginaire Gallimard (n°39), traduit par B. Cauvet-Duhamel.

Depuis l'abolition de la liberté, le monde vit dans le bonheur parfait et réconfortant d'une existence réglée heure par heure. Les hommes ne sont plus que des numéros et peuvent désormais apprécier la belle organisation d'une société entièrement rationnelle où la logique mathématique fait office de fondement moral. Il ne reste encore qu'une petite entrave qui pourrait gêner cette absolue perfection de l'État Unique, c'est l'imagination, qui peut détourner certains numéros de leur devoir. Heureusement, dans cette civilisation de verre où tout le monde peut observer tout le monde, les Gardiens veillent à éliminer pour leur bien les éventuels réfractaires à cet ordre merveilleux.

Bien avant Huxley et Orwell, les Britanniques qui ne seront finalement que des suiveurs, Zamiatine a écrit la première grande dystopie du vingtième siècle. Il surpasse ainsi ceux qui s'inspireront de lui par son caractère prémonitoire, puisqu'il pressentait déjà le ferment totalitaire dès 1920 alors que le stalinisme n'était même pas encore né et que l'URSS était encore en chantier. Alors que ses compatriotes croyaient écrire l'histoire, il voyait plus loin que celle-ci. Il était déjà capable de voir les écueils inhérents à la logique butée de ceux qui n'ont d'autre référence de la perfection que leur action et leur idéologie. Car la remise en cause permanente de celui qui se pose en observateur de son temps et des autres, l'écrivain, est toujours plus profitable que les bonnes intentions convaincues des prosélytes.

 

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