Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?
(autre titre : Blade Runner)
(titre original : Do androids dream of electric sheep ?)
Sur une terre dépeuplée en voie d'empoussiérisation, où les rares animaux coûtent une fortune et où leurs répliques électriques sont choyées comme des vrais, un blade runner, policier chasseur de primes, traque les androïdes ultra-perfectionnés qui s'emparent des postes-clefs en abusant de leur supériorité physique et intellectuelle sur les humains.
Avec l'argent des primes, il pourra peut-être, en s'endettant, s'acheter un vrai animal pour remplacer son mouton électrique .
Moins hallucinant qu'
Ubik, moins bien construit qu'Au bout du labyrinthe, Blade Runner est un roman attachant, le plus touchant peut-être de l'auteur avec La transmigration de Timothy Archer. Il contient plusieurs idées-forces chères à l'auteur, comme celle-ci1 : << Ce n'est pas Dieu qui créa l'homme, c'est l'homme qui crée Dieu >>.Certes le propos n'est pas neuf : Feuerbach l'avait développé longuement dans L'essence du christianisme. Mais Dick lui fait subir une drôle de mise en scène : la transcendance divine, incontestable, se manifeste de façon tangible, à travers un Messie, quant à lui, résolument douteux !
Autre idée-force : Qu' est-ce qui différencie l'humain du non-humain ? Réponse : C'est la faculté d' "empathie" (sentiment partagé de compassion, solidarité, amour). Bien sûr, l'idée d'un fossé infranchissable entre" Nous" et "Eux" a fait les choux gras d'un nombre incalculable de romans et films de gore-fiction où, sous prétexte que les aliens sont de gros vilains, les scènes de massacre prolifèrent, jusqu' à ce que, quelques hectolitres d'hémoglobine et de bave chitineuse plus tard, l' Amour triomphe du Mal.
Dick est beaucoup trop fin pour tomber dans ce piège manichéen : de fait, la faculté d'empathie, "seuil d' hominisation" qui distinguerait l'homme du robot, est un critère fiable, mais dans un monde de faux semblants où l'on va jusqu'à implanter des souvenirs aux androïdes pour qu'ils se croient eux-mêmes humains, allez vous y retrouver ! Surtout si l'androïde est une jeune femme sexy et que vous éprouvez pour elle... un peu plus que de la sympathie.
Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, titrait la traduction française parue en 1976 aux éditions Champ libre. Moins littéralement, le roman pourrait s'intituler "les androïdes ont-ils une âme ?".
Sans répondre à ce sujet, la glose dickienne affirme son opposition radicale vis-à-vis des laborieux "principes de la robotique" du lourdingue Asimov avec ses robots bons chiens-chiens2 : l'androïde attaquera forcément l'homme, car il ne lui pardonne pas de n'être pas, comme lui, un produit fabriqué en série - pendant que la poussière continuera de recouvrir une réalité de plus en plus fantomatique.
Michèle Roger-Morini
1
que l'on retrouve dans la trilogie divine et dans Au bout du Labyrinthe.2
D'ailleurs Dick préfère les chats.