Le fleuve de l'éternité

 

Quatre romans, parus chez J'ai Lu et chez Ailleurs et Demain, traduits par Guy Abadia, forment la série complète, dans laquelle tous les mystères sont révélés, tandis que les autres textes, de l'aveu même de l'auteur, constituent des histoires annexes.

Le monde du fleuve (titre original : To your scattered bodies go)

Le bateau fabuleux (titre original : The fabulous riverboat)

Le noir dessein (titre original : The dark design)

Le labyrinthe magique (titre original : The magic labyrinth)

Tous les humains de plus de cinq ans morts depuis quelques dizaines de milliers d'années, soit une population de trente ou quarante milliards d'individus, est ressuscitée le long d'un fleuve de trente-deux millions de kilomètres, regroupés en partie par culture et par époque, mais répartis dans un semblant de hasard. Parmi eux, certains ne se contentent pas de cette deuxième vie offerte et veulent connaître les causes réelles et les buts de cette résurrection. C'est le cas de l'explorateur Richard Francis Burton et de l'écrivain Sam Clemens, alias Mark Twain.

Les puissants restent les puissants, les misérables restent les misérables : telle pourrait être la devise du Monde du Fleuve. En effet, Farmer laisse ceux qui commandaient sur Terre aux rênes de ce monde, alors qu'il aurait peut-être été intéressant de plus s'attacher aux mécanismes du pouvoir et de comprendre à la fois comment les chefs de la Terre peuvent légitimer un nouveau pouvoir sur ce nouveau monde et comment ceux qui ont été sevrés de pouvoir durant leur première existence peuvent se plier à cette hiérarchie qui n'a, à son arrivée, plus de moyens de pression pour se mettre en place, se retrouvant à égalité. Cette hypothèse initiale de Farmer ne me paraît pas évidente, et son approfondissement aurait certainement été intéressante.

Toujours est-il que Farmer s'appuie principalement sur les hommes célèbres pour bâtir son histoire, ce qui est une arme à double tranchant, car il se tient perpétuellement sur la corde raide qui le sépare d'une utilisation abusive et malvenue de célébrités qui feraient tomber le roman dans le grotesque et le ridicule. Mais Farmer, à part en une ou deux occasions où il franchit légèrement la limite (apparitions consécutives d'Ulysse et Cyrano), sait maintenir le bon dosage. Il gère avec brio ce projet très ambitieux en évitant la plupart des écueils, et parvient à intéresser le lecteur sans verser dans l'outrance et la facilité, témoignant d'une réflexion subtile sur les problèmes posés par le monde du fleuve, hormis les problèmes de pouvoir évoqués plus haut.

La troisième partie est aussi l'occasion de constater le racialisme innocemment mais ridiculement théorisé de Farmer, dans le prolongement de la culture américaine à ce sujet. Par ailleurs, le suspense y est toujours maintenu et les révélations savamment distillées.

La quatrième partie, celui de la révélation finale, est forcément plus décevant. Farmer s'est donné tant de peine pour concocter des explications complètement influencées par la théologie chrétienne, dont il essayait vainement de se démarquer depuis le début. Ce quatrième volet n'est également pas épargné par les longueurs, notamment lorsqu'il est le théâtre de la bataille navale et aérienne.

 

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