Au bout du labyrinthe

(titre original : A maze of death)

 

Seth Morley et son épouse sont heureux de quitter leur kibboutz pour aller travailler dans une petite unité de colons sur la planète Delmak O. Ils se retrouvent au milieu d'un groupe très hétérogène, dont les membres ont un seul point commun : pas un ne sait exactement ce qu'il est venu faire ici.

On écoute donc avec attention les instructions du général Treaton, enregistrées sur bande magnétique. Mais l'enregistrement s'efface, et il n'y a aucun moyen de contacter la terre : cherchant à percer le mystère, la colonie de Delmak.O ira de en mirage en psychodrame, avant d'affronter l'insoutenable réalité.

Preuve incontestable de la dimension philosophique de Dick, Au bout du Labyrinthe décrit l'invention d'une Religion Universelle, à partir de données que l'on a entrées dans un ordinateur : comme Mercer dans Blade Runner, "l'intercesseur", personnage christique inventé de toutes pièces pour et par la collectivité, finit par exister "pour de vrai".

Par ailleurs, cet ouvrage est un véritable catalogue des schémas obsessionnels dickiens : simulacres, jeu du Yi-King, artefacts déliquescents, psychodrames schizos et paranos, mondes virtuels, etc (la liste serait trop longue). Il ne manque que le handicapé physique et/ou mental de service. Ironie mise à part, c'est du très grand Dick, et mieux encore, de la littérature philosophique.

Le voyage gelé ou " L'enfer, c'est les autres " :

Au bout du Labyrinthe est un cauchemar visionnaire qui met en scène une humanité sans objet, prisonnière d'un vaisseau errant sans but dans l'espace.

Le récit mêle les audaces du nouveau roman à une construction très classique (unité de temps, de lieu et d'action) en déclinant le thème de l'angoisse existentielle à travers un "huis clos" féroce qui pourrait rappeler celui de Sartre. Quand il n'y a plus de projet possible, la déprime s'installe ; les héros cherchent une issue à travers des univers virtuels, mais ceux-ci, issus de leur psychisme malade, s'avèrent des mondes mortifères.

La philosophie de P.K.Dick

Au travers de ce voyage immobile, c'est l'homme tout entier qui pleure sa destinée. Les humains, à l'instar des personnages prisonniers de leur fusée, sont enfermés dans l'univers borné, livré à l'entropie (le "destructeur de formes") qui les opprime. Ils cherchent à s'en évader en créant des paradis artificiels, mais ils n'inventent rien, sinon d'autres enfers où s'exaltent leurs pulsions destructrices : car les cerveaux déprimés créent des mondes à leur image. Toute tentative pour y échapper est une fuite en avant. Le piège chinois (cf SIVA) se referme, inexorablement.

Vers une nouvelle religion ?

Du plus profond de sa nuit , depuis qu'il a pris conscience de sa tragédie existentielle, l'homme a inventé Dieu : parfois "l'intercesseur" ou "le marcheur" (ou le Christ ?), image de la transcendance qu'il a conceptualisée depuis les temps préhistoriques, apparaît pour le libérer : Seth Morley trouvera l'apaisement au bout de sa souffrance. << [je voudrais] dormir tout en ayant conscience du soleil et de mon existence >>.

Qui sait si ces apparitions ne sont pas en définitive l'unique vérité, quand le monde "réel" n'est que simulacres ? L'homme ne sait que projeter les images négatives de son psychisme déprimé, dans de telles conditions, comment pourrait-il concevoir et même voir une entité positive telle que Dieu, sinon parce qu'elle existe, CQFD ?

Quand le monde était religieux, un philosophe, pour avoir droit au titre de Docteur, se devait de démontrer l'existence de Dieu : Dick réussit brillamment cet exercice (et probablement de bonne foi !). Il reprendra ces réflexions, en les approfondissant, dans sa "trilogie divine", dix années plus tard.

Michèle Roger-Morini

 

Retour à la page Philip K. Dick