L'enchâssement

(titre original : The Embedding)

 

Roman de Ian Watson publié chez Calmann-Lévy (n°5211) et au Livre de Poche (n°7013), traduit par Didier Pemerle. Prix Apollo 1975 et finaliste du prix Nebula décerné par la très chauvine association américaine des écrivains de SF, ce qui n'est pas un mince exploit pour un Britannique.

Chris Sole connaît les Nouvelles Impressions d'Afrique de Raymond Roussel, ce poète français, "le moins lu des auteurs célèbres", qui a influencé à la fois les surréalistes et l'Oulipo, et qui a inventé la structure littéraire enchâssée consistant à insérer des parenthèses dans des parenthèses à un point tel que le cerveau humain n'est plus capable de suivre le discours. C'est pourquoi Sole procède à des tests secrets dans un hôpital britannique où il fait apprendre un tel langage enchâssé à de jeunes enfants au cerveau stimulé par une substance chimique, conditionnés dès la naissance à cette fin.

Son ami et par ailleurs ex-amant de sa femme et père de son fils, l'ethnologue Pierre Darriand, a découvert, dans une Amazonie menacée par les plans pharaoniques des multinationales américaines alliée au gouvernement brésilien, une tribu dont le langage courant, le xemahoa A, se transforme sous l'effet d'une drogue locale en un langage enchâssé, le xemahoa B, dans lequel se transmettent leurs mythes. Mais les études de ces deux chercheurs n'intéresseraient personne si elles n'acquéraient pas d'un coup une valeur marchande pour une espèce extraterrestre qui cherche à élaborer une grammaire universelle à partir de différents langages pour découvrir une transcendance permettant d'accéder à l'Autre-Réalité.

L'enchâssement est un roman court mais extrêmement dense, mêlant sociologie, éthique, anthropologie, politique et bien sûr linguistique. Watson y allie une réflexion sur la nature du langage et son rôle constitutif sur notre appréhension du monde et de l'altérité, ainsi qu'une réelle érudition, à un récit passionnant de bout en bout qu'il mène avec brio et avec un enthousiasme communicatif. La profonde réflexion d'un Bernard Wolfe, la frénésie d'un Brunner décrivant le "monde en marche" sur sa trajectoire insensée, la description à la Spinrad de personnages dénués de scrupules ou perclus dans leurs contradictions et leurs tourments, tout est là dans ce roman d'une richesse exceptionnelle, qui réunit toutes les qualités d'un véritable chef d'œuvre.

 

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