Rêve de Fer

(titre original : The Iron Dream)

 

Roman de 1972 de Norman Spinrad, paru chez Opta, Pocket puis Folio, traduit par Jean-Michel Boissier. Préface de Roland C. Wagner (Richard s'étant désisté...) dans l'édition Folio SF.

Adolf Hitler, un Autrichien émigré à New York en 1919, y est devenu illustrateur puis écrivain de science-fiction. Son ultime œuvre, le Seigneur du Svastika, a été acclamée par les spécialistes du genre. Voilà le parti pris uchronique de l'écrivain juif américain Norman Spinrad, et il est pour le moins osé...

C'est pourquoi Rêve de fer a été interdit entre 1982 et 1990 en Allemagne, pays sur ses gardes quand il s'agit de représentations du nazisme. Même en France, la couverture de sa dernière réédition chez Folio SF a été mise au pilon car elle montrait des svastikas (comme toutes les couvertures des éditions originales) et a été remplacée par une version aseptisée avec casque bicorne et aigle impérial... Rien n'égalera la couverture de Presses Pocket, collection dont je dis du bien pour la première et peut-être dernière fois en ces lieux, une couverture que je ne résiste pas à reproduire ci-contre : cette tête d'Adolf sur corps de Conan le barbare est en effet la meilleure description des intentions de Spinrad.

Y a-t-il donc la moindre ambiguïté de complaisance envers le nazisme dans Rêve de Fer ? En aucun cas, à moins d'en avoir une lecture "bas-du-front", de ne pas voir la symbolique lourdingue et les répétitions à outrance, et d'omettre de lire la postface où un supposé universitaire entreprend un décryptage psychanalytique, pour ceux auxquels la référence constante au cuir noir luisant aurait échappé. Une postface dont l'intérêt majeur est de laisser transparaître en creux le monde uchronique dans lequel vit cet Hitler écrivain.

C'est la particularité de Rêve de Fer : il s'agit d'un roman prodigieusement plat et volontairement navrant de second degré, où l'humour totalement absent du récit hitlérien est introduit par la postface, par la bibliographie "du même auteur", et aussi par les citations des pairs.

Ces citations mises en exergue, typiques de l'édition nord-américaine mais peu usuelles en France (et donc pas toujours reprises dans les traductions successives), ne s'appliquent évidemment pas au roman de Spinrad mais au "roman dans le roman" de Hitler : on y lit Harry Harrison déclarer "Si Wagner écrivait de la science-fiction c'est ainsi qu'il s'y prendrait" et Michael Moorcock ajouter "Cette œuvre fait de Hitler l'égal de Tolkien".

Phrase piquante qui mérite d'être remise dans le contexte : Moorcock écrira en 1978 - six ans après Rêve de Fer - un fameux essai (Epic Pooh) qui dénoncera l'influence de Tolkien sur les auteurs de fantasy et le conservatisme qu'il a insufflé sur le genre. Norman Spinrad, pour sa part, s'attaque à la chapelle de la science-fiction américaine. S'il fait remporter à Adolf Hitler le prix Hugo 1954 (non attribué à l'époque - il le sera a posteriori), ce n'est pas un hasard : la scène des années cinquante était dominée par des écrivains (Robert Heinlein, Jack Vance, Fritz Leiber et Eric Frank Russell) qui mettaient en avant des personnages farouchement individualistes et capables de se sortir de toutes les situations par le pouvoir de leur volonté, dans des histoires généralement dénuées de la moindre présence féminine.

Ce n'est donc pas comme une dénonciation en filigrane du nazisme (superflue et banale même dans son interprétation psychanalytique) qu'il faut lire Rêve de Fer, mais comme une critique des thèmes sous-jacents, inconscients ou non, dans la SF. De ce point de vue, cela fonctionne bien pendant 50 pages : le héros de retour d'exil, voulant ouvrir les yeux à sa patrie perdue idéalisée, est tout à fait convaincant et peut donner un sentiment troublant de déjà-lu - même si ce brave garçon semble légèrement obsessionnel sur la propreté et l'ordre. Les 50 pages suivantes, où le héros prouve sa virilité à un gang de motards, sont une ode à la fascination mécanique digne du futurisme italien (qui avait plus influencé le fascisme que le peintre Hitler...). Admettons.

Ce n'est pas tout. Il faut encore subir 200 pages de l'irrésistible ascension de Feric Jaggar, de sa quête de la pureté génétique absolue, de ses parades enflammées et de centaines de crânes défoncées par sa Grande Massue. À toute personne normalement constituée, c'est insupportable et ennuyeux à mourir.

Dans ses deux derniers tiers, le roman devient en fait une métaphore littérale de l'histoire nazie, avec ses affidés même pas déguisés (Bogel/Goebbels, Waffing/Goering, Remler/Himmler, Best/Hess...), sa Nuit des Longs Couteaux, etc, le tout avec une facilité déconcertante puisque tout réussit au chef incarné. Or, quand on est dans la métaphore évidente, on n'est plus dans le fantasme de l'écrivain Hitler, sauf dans la conclusion où l'on retrouve enfin une trame narrative. À trop osciller dans ses objectifs, Spinrad s'est donc un peu perdu et a raté son coup. Car même la frange la plus militariste, raciste et droitisante des conventions de science-fiction - même le duo Niven/Pournelle que Spinrad a tant combattu - n'aurait jamais voté pour Le Seigneur du Svastika. Enfin, on espère... On est toujours effaré de constater que certains lecteurs parviennent à le lire au premier degré, voire à en apprécier les aventures. Brrr...

 

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