Tous à Zanzibar

(titre original : Stand on Zanzibar)

 

Roman de John Brunner, paru en 1968 (trad. française 1972)

Traduction ardue, donc méritante, de Didier Pemerle ; collection Le Livre de Poche, n°7180. Préface de Gérard Klein.

Ce livre a obtenu le prix Hugo 1969, le British SF Award 1970 et le prix Apollo 1973 (soit les plus importantes distinctions américaine, britannique et française)

Brunner, à moitié pour conquérir le public américain, a déclaré s'être inspiré de Dos Passos et de sa trilogie USA pour la forme de son roman, mais en fait il l'a même surpassé : là où Dos Passos racontait une histoire principale consistant en une suite de tranches de vies brièvement entrecoupées de chapitres plus originaux, John Brunner ne privilégie aucune des quatre catégories dans lesquelles il classe ses chapitres : la Continuité, c'est-à-dire l'histoire "principale", le Contexte, qui rassemble des écrits de Chad Mulligan, des descriptions des pays dans lesquels se déroulent l'action et des opinions diverses, les Jalons et Portraits, qui brossent une exceptionnelle galerie de personnages emportés dans le flot de ce monde qui est le seul véritable héros du roman, et le Monde en Marche, très comparable aux "news reels" de Dos Passos, qui rassemble des dépêches d'actualités, des poèmes, des choses vues ou entendues dans la rue... Avis au lecteur non habitué : les premiers chapitres de ce type, qui présentent tous les principaux personnages du roman, le tout entremêlé des actualités, d'extraits de Chad Mulligan, etc, pourront lui paraître difficiles, car il n'a pas forcément toutes les clés pour le comprendre ; mais ce roman est un labyrinthe, et si y entrer n'est pas toujours facile (comme pour beaucoup de romans de John Brunner), en sortir l'est encore moins !

L'histoire principale n'a en fait que peu d'importance, elle conduit en effet à un happy end volontairement ridicule, à la mesure de l'absurdité génétique qui est un des principaux sujets du roman. En effet, Tous à Zanzibar est censé traiter des effets néfastes de la surpopulation (d'où le titre, mais il faut lire le roman pour comprendre), alors qu'en définitive, il déborde largement ce cadre. Mais dans ce monde surpeuplé, les lois eugéniques sont devenues (soi-disant) indispensables, on y traque les débiles, les anémiques, les diabétiques et même les daltoniens... Dans cette "course aux hommes" ("human race", voir Sur l'onde de choc), c'est à qui produira le premier un surhomme, et Brunner y apporte une réponse à la hauteur de l'absurdité de cette compétition : ainsi, dans ce paisible et très pauvre pays d'Afrique, le Béninia (nom inventé, le Bénin s'appelait encore Dahomey lorsque Brunner a écrit ce livre), les hommes ont depuis toujours un gène produisant une protéine qui inhibe l'agressivité ambiante... Évidemment, personne n'y croit, pas même l'auteur, qui veut juste faire un pied de nez à la recherche eugénique en bouleversant les critères de sélection. Inutile donc de chercher une fin à ce roman. La véritable conclusion de Tous à Zanzibar se trouve à mon sens dans Éclipse totale.

Il n'y a pas de personnage principal, mais si vous tenez vraiment à en trouver un, citons le sociologue sur le retour (thème récurrent chez Brunner), Chad Mulligan, cynique et misanthrope, qui tente de faire réagir ses concitoyens, qui daignent parfois l'écouter mais évidemment sans y prêter trop d'attention. C'est que Mulligan adore bousculer les idées établies, et n'hésiter pas à pousser la provocation jusqu'à l'extrême pour essayer de faire réfléchir ses compatriotes.

Assurez-vous que vous êtes prêt à la nouveauté ou à l'originalité, pas comme l'éditeur anglais de Brunner qui avait refusé le manuscrit qu'il lui avait pourtant commandé, ni comme l'auteur de cette critique trouvée sur le site internet du club SF de Supélec Metz : "Ce n'est même pas un livre, c'est de la m... Un seul conseil : ne l'achetez pas. Et si vous l'avez aimé, pendez-vous !". Avant que ne resurgissent au bord des routes les potences et les autodafés, dépêchez-vous de lire Tous à Zanzibar.

 

"C'est une construction littéraire comprenant un roman, plusieurs nouvelles, une série d'essais et tout un tas de trucs, le tout constituant une sorte de film. Si Tous à Zanzibar prouve une chose, c'est que le tout peut être plus grand que la somme des parties." (Norman Spinrad)

 

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